Notions de toxicologie​

9. Quelles sont les principales manifestations toxiques ?

9.1  Description des manifestations selon différents types d'effets toxiques

9.1.1 L'irritation et la corrosion

L’irritation est une réaction réversible de la peau ou des muqueuses à des produits (figures 14 et 15). Cette réaction peut varier en gravité selon les tissus ou les organes affectés :

  • la peau (le contact avec des produits tels que les décapants à peinture et les détergents peut causer une rougeur et de l’inflammation);
  • les yeux (le contact avec une eau savonneuse peut causer une conjonctivite);
  • les voies respiratoires (l’inhalation de gaz tels que l’ammoniac ou le chlore peut causer de la bronchoconstriction, un oedème pulmonaire et de la difficulté à respirer); et
  • les voies digestives (l’ingestion accidentelle d’eau de javel peut causer des brûlures d’estomac).

La corrosion consiste en des dommages irréversibles causés à des tissus par suite du contact avec un produit. On qualifie de corrosifs les produits qui peuvent causer la destruction des tissus vivants et de matériaux tels que les métaux et le bois (figures 14 et 15).

  • Le contact de l’acide fluorhydrique avec la peau peut causer une ulcération profonde, un blanchiment et une nécrose.
  • Le contact de l’acide chlorhydrique avec les yeux peut causer une brûlure qui se manifeste par un larmoiement, une conjonctivite et une possibilité de lésions permanentes de la cornée.
Figure 14.
Irritation et corrosion de la peau

Irritation et corrosion de la peau

Figure 15.
Irritation et corrosion des yeux

Irritation et corrosion des yeux

9.1.2 La cancérogénicité (effet cancérogène)

Il existe entre les cellules de l’organisme une interaction qui fait en sorte que chaque tissu a une taille et une organisation adaptée aux besoins de l’organisme. Dans certaines situations, des cellules ne répondent plus aux signaux des autres cellules et n’obéissent plus qu’à elles-mêmes. Ce sont les cellules cancéreuses.

Le cancer est une maladie qui se caractérise par une croissance et une multiplication incontrôlée de cellules anormales dans un organe ou un tissu de l’organisme. En se multipliant, ces cellules anormales forment une masse appelée tumeur. Il existe deux types de tumeurs : la tumeur bénigne et la tumeur maligne. On appelle tumeur bénigne la tumeur qui n’envahit pas le tissu d’origine ou qui ne se propage pas dans d’autres organes. On appelle tumeur maligne celle qui peut envahir et détruire les tissus sains avoisinants ou se répandre dans le corps. C’est cette dernière que l’on qualifie de tumeur cancéreuse. Un agent qui cause le cancer est qualifié de cancérogène.

Une tumeur maligne qui se répand (dissémination) forme ce que l’on appelle des métastases (figure 16). La métastase est une cellule cancéreuse qui quitte le foyer de croissance initial et s’attaque aux tissus avoisinants, emprunte la circulation lymphatique pour atteindre les ganglions, passe dans le sang et colonise d’autres organes, formant ainsi des foyers secondaires.

La transformation d’une cellule normale en cellule cancéreuse peut survenir à n’importe quel moment de la vie de la cellule. Cette transformation peut être la conséquence d’une agression par un cancérogène. Généralement, une telle transformation suppose une cascade d’événements biologiques dont l’ensemble du processus peut s’échelonner sur une longue période au cours de la vie d’une personne. Chaque type de cancer est différent et la progression d’un même cancer est différente d’une personne à l’autre.

Figure 16.
La cancérogénicité

La cancérogénicité

Plusieurs causes sont reliées au cancer : l’alimentation, le tabac, l’exposition prolongée au soleil, certains virus et certains produits chimiques. Parmi ces derniers, mentionnons : le benzène (cancer du sang), le chlorure de vinyle (cancer du foie) et la bêta-naphtylamine (cancer de la vessie).

9.1.3 La mutagénicité (effet mutagène)

Une mutation est un changement qui se produit dans le matériel génétique de la cellule, c’est-à-dire l’ADN (acide désoxyribonucléique). L’ADN se trouve à l’intérieur du noyau de la cellule et constitue le support matériel de l’hérédité. Son rôle est essentiel pour la transmission de l’information génétique d’une cellule à la génération suivante. Les conséquences des modifications dépendront du type de cellules modifiées.

Il existe deux types de cellules susceptibles d’être affectées : la cellule somatique et la cellule germinale. Les cellules somatiques comprennent toutes les cellules du corps (ex. : cellules hépatiques, neurones), sauf les cellules germinales. Les cellules germinales sont les spermatozoïdes et les ovules.

Figure 17.
L’effet mutagène

L’effet mutagène

Un agent mutagène est celui qui va induire une mutation (figure 17). Si la mutation se produit dans une cellule somatique, il pourra en résulter la mort de la cellule, un cancer ou d’autres effets néfastes. Si la mutation se produit dans une cellule germinale, elle pourra avoir des conséquences sur la descendance.

Toutefois, si une cellule est transformée par un mutagène, il n’en résultera pas nécessairement une conséquence néfaste, car tous les mutagènes ne causent pas nécessairement d’effet biologique décelable. De plus, l’organisme peut réparer une partie plus ou moins importante des altérations.

Il existe des tests permettant de repérer les produits ayant un potentiel mutagène (ex. : aberration chromosomique, dominance létale). Les résultats de ces tests facilitent l’identification et la classification des agents mutagènes de nature chimique (ex. : acrylamide, cyclophosphamide) ou physique (ex. : radiations ionisantes).

9.1.4 L’allergie (la sensibilisation)

L’organisme humain possède divers systèmes de défense qui lui permettent de reconnaître les substances favorables à son bon fonctionnement. Lorsque l’organisme répond d’une façon excessive ou exagérée à des produits chimiques étrangers qui ne provoquent habituellement pas de réaction immunologique, on parle d’allergie.

L’allergie est une réaction indésirable de l’organisme à des agents chimiques, physiques ou biologiques généralement inoffensifs pour la plupart des gens. La réaction allergique survient lorsque le système immunitaire de l’individu reconnaît par méprise une substance comme étrangère, appelée alors allergène. L’organisme la reconnaît et fabrique des substances pour la neutraliser et l’éliminer, ce sont des anticorps. Le système de défense peut toutefois se dérégler et en venir à fabriquer des anticorps contre des substances inoffensives.

Pour qu’il y ait allergie, il faut :

  • un contact entre l’allergène et l’organisme; et
  • une faculté particulière à se sensibiliser, qui peut être héréditaire ou qui peut se développer par suite de l’action de nombreux facteurs.

Le contact de la substance avec l’organisme déclenche un mécanisme qu’on appelle sensibilisation (figure 18). Le terme sensibilisant qualifie les agents susceptibles de causer une telle réaction. L’exposition qui provoque la sensibilisation ne correspond pas nécessairement à la première exposition, car un individu peut être exposé pendant une longue période à un allergène avant que la sensibilisation ne se manifeste. On ne naît pas allergique. On le devient par un contact prolongé ou répété avec une substance.

Figure 18.
La sensibilisation

La sensibilisation

Les allergènes peuvent emprunter plusieurs voies : la voie aérienne, la voie cutanée, l’ingestion et l’injection. Les deux premières sont les plus fréquentes en milieu de travail et créent également beaucoup de problèmes dans la vie courante :

  • Les allergènes aériens (moisissures, poils d’animaux, pollen de l’herbe à poux) peuvent causer de l’écoulement nasal, des éternuements, de la congestion, du larmoiement, du picotement et le gonflement des yeux. Si ces symptômes nous apparaissent surtout comme incommodants, n’oublions pas qu’ils peuvent s’aggraver et conduire à des complications médicales ; de plus, l’inhalation d’allergènes (tels que les isocyanates qu’on trouve dans certaines peintures) peut être dangereuse et causer de l’asthme.

  • Les allergènes de contact (herbe à puce, nickel) peuvent causer des éruptions et des démangeaisons.

  • Les allergènes injectés (morsures, piqûres d’insectes) peuvent causer des éruptions, de la fièvre, des nausées, des vomissements et des crampes d’estomac.

  • Les allergènes ingérés (aliments et leurs constituants, tels que les oeufs et les arachides) peuvent être la cause d’éruptions et d’une manifestation allergique violente (telle qu’un choc anaphylactique).

9.1.5 Les effets sur la reproduction et le développement

De nombreuses personnes s’interrogent sur la possibilité que des produits chimiques, présents dans leur milieu de travail, puissent avoir des répercussions sur leur capacité à concevoir et avoir des enfants en bonne santé. La toxicologie de la reproduction s’intéresse aux troubles de la reproduction, aux effets non héréditaires sur l’embryon et le fœtus, ainsi qu’à ceux pouvant affecter l’enfant de la naissance à la puberté. La gamme des effets observés peut être sommairement regroupée comme suit :

  • les effets sur la fertilité ;
  • les effets sur le développement (prénatal et postnatal); et
  • les effets durant la lactation.

Les effets toxiques peuvent affecter la fertilité, tant chez l’homme que chez la femme. Les atteintes de la libido, du comportement sexuel, de la spermatogenèse, du développement ovulaire (oogenèse) ou de la capacité de fécondation sont parmi les effets néfastes possibles qui peuvent se manifester (ex. : les anomalies spermatiques causées par l’exposition au dibromo-1,2 chloro-3 propane ou DBCP).

La toxicité sur le développement peut apparaître à la suite d’une exposition, avant, pendant ou après la conception et peut prendre diverses formes (tableau 13). Les malformations congénitales représentent les effets qui sont les plus publicisés et qui apparaissent comme étant les plus dramatiques, et souvent les plus visibles. Cependant, il peut également y avoir d’autres atteintes in utero, telles que des retards de développement et des troubles fonctionnels de l’embryon et du fœtus. Ils peuvent alors être regroupés sous les termes d’embryotoxique ou foetotoxique et d’effet postnatal en fonction du stade de développement (embryon ou fœtus) selon qu’ils se produisent avant la naissance (prénatale) ou après la naissance (postnatale). Par exemple, l’exposition au monoxyde de carbone, présent dans les gaz d’échappement des moteurs à combustion interne et dans les gaz d’émission s’il y a combustion incomplète des matières combustibles, peut produire des effets embryotoxiques ou fœtotoxiques ainsi que de la toxicité postnatale.

La lactation est une étape importante durant la période postnatale. En effet, l’allaitement maternel présente un avantage nutritionnel important pour le bébé, puisque le lait maternel est un aliment naturel qui contient les nutriments essentiels à son développement (acides gras, vitamines, minéraux, etc.). Il est donc important que ce soit un aliment sain. Bien qu’il existe plusieurs données relativement aux effets des médicaments sur le lait et l’allaitement, il y a cependant peu d’études relatives à la contamination du lait maternel par des substances chimiques présentes en milieu de travail. Plusieurs substances sont excrétées dans le lait (ex. : aldrine, perchloroéthylène, plomb, toluène), mais les conséquences sur le bébé allaité et sur l’allaitement sont encore très peu documentées.

Tableau 13.
Principaux effets liés aux différents stades du développement humain
Période
Préconception
Prénatale
Postnatale
(lactation)
I
(2 semaines)
II
(3-8 semaines)
III
(9-38 semaines)
Événement biologique majeur Fonction de reproduction Conception et implantation Formation des organes Augmentation de la taille des organes Croissance et maturation
Effet principal Infertilité Mortalité prénatale Tératogénécité et embryotoxicité Tératogénécité et foetotoxicité Trouble physiologique

9.2 Description des manifestations par systèmes biologiques et organes cibles

9.2.1 L’hépatotoxicité

C’est une atteinte du foie. Le foie est un organe vital, tout comme le cœur et les poumons. Il remplit de multiples fonctions et son rôle est très important dans le maintien de l’équilibre général. Il participe à la digestion, à l’emmagasinage des aliments ainsi qu’à la détoxication, en aidant l’organisme à se débarrasser de ses poisons, et à l’élimination. Il a un rôle important dans la transformation des substances circulant dans le sang, dont les substances toxiques qui y sont véhiculées et qui dans plusieurs cas peuvent y être neutralisées. C’est une cible pour de nombreux toxiques à cause de son important débit sanguin et de sa situation par rapport à la circulation sanguine (ex. : le tétrachlorure de carbone, le diméthylformamide, l’ingestion chronique abusive d’alcool éthylique).

9.2.2 La néphrotoxicité

C’est un effet toxique sur le rein. Le rein est l’organe d’élimination responsable de la sécrétion de l’urine. Il joue un rôle dans la régulation de l’équilibre des liquides du corps et contribue à débarrasser le sang de ses impuretés, et notamment de certains toxiques (ex. : le cadmium, le chloroforme).

9.2.3 La neurotoxicité

C’est un effet toxique sur le système nerveux. Le système nerveux est un ensemble de cellules spécialisées ou non dont l’unité fondamentale est le neurone. Les neurones assurent le transfert de l’information (influx nerveux) d’une partie du corps à une autre afin d’assurer le fonctionnement interne de l’organisme et ses relations avec le milieu extérieur. Le système nerveux est formé de deux ensembles, le système nerveux central (dont l’abréviation courante est S.N.C.) et le système nerveux périphérique (S.N.P.).

Le système nerveux central comprend l’encéphale, lequel est constitué des organes situés dans la boîte crânienne (cerveau, cervelet et tronc cérébral) et de la moelle épinière. Le système nerveux périphérique est quant à lui constitué par les nerfs et leurs renflements (ganglions nerveux). Il existe diverses catégories d’effets neurotoxiques. Donnons comme exemples :

  • la dépression du système nerveux central, dont les symptômes sont des maux de tête, des nausées, des vomissements, des étourdissements, etc. qui se manifestent à la suite d’une exposition à des solvants tels que le toluène et le xylène;
  • la neuropathie périphérique (affection du système nerveux périphérique) qui peut être produite par des solvants tels que le n-hexane;
  • le tétanos, qui consiste en des contractures musculaires et qui est causé par une toxine biologique produite par le Clostridium tetani. Cette dernière peut pénétrer dans l’organisme à la suite d’une lésion de la peau ou des muqueuses (ex. : blessure avec un clou) ou à l’occasion de travaux agricoles; et
  • la paralysie musculaire causée par une toxine biologique produite par le Clostridium botulinum et qui peut résulter de l’ingestion de certains aliments avariés ou de la contamination d’une plaie faite au moment de la manipulation d’un objet contaminé.

9.2.4 La dermatotoxicité

On regroupe sous ce terme l’ensemble des effets toxiques des substances sur la peau (dermatose, sensibilisation cutanée). On utilise généralement l’expression dermatoses professionnelles pour les affections de la peau (dermatoses) pour lesquelles un lien a été établi entre la cause et le milieu de travail. Ce sont :

  • les dermatoses qui proviennent exclusivement du milieu de travail, à l’occasion d’un contact cutané avec des produits, irritants et corrosifs, ou qui sont consécutives à une intoxication systémique, comme dans le cas de la chloracnée causée par des dioxines (que l’on trouve comme contaminant dans certains produits à base de biphényles polychlorés ou BPC) ; et
  • les dermatoses aggravées par le milieu de travail, comme celles qui peuvent être aggravées par un travail en milieu humide.

9.2.5 La toxicité de l’appareil respiratoire

L’appareil respiratoire est constitué des voies aériennes supérieures (nez, pharynx ou gorge), de la trachée, des bronches, des bronchioles et des alvéoles pulmonaires. L’humain est exposé par inhalation à divers agents qui existent sous plusieurs formes (gaz, vapeur, gouttelettes, fines particules) et en diverses tailles et qui ont leur toxicité et leurs caractéristiques physiques propres.

Les toxiques présents dans l’air inspiré sont absorbés dans l’organisme par les voies respiratoires pour ensuite se distribuer dans d’autres tissus et y exercer un effet systémique (dépression du système nerveux central causée, par exemple, par l’inhalation de fortes doses de toluène ou d’essence).

Outre les effets de certains gaz et de certaines vapeurs, signalons également la pneumoconiose, maladie pulmonaire causée par l’inhalation prolongée de poussières, la silicose, causée par l’inhalation de silice cristalline (maladie qui apparaît généralement après plus de 20 ans d’exposition), l’emphysème et le cancer du poumon, causés par la fumée de cigarette, et l’asthme, induit par des spores de moisissures (ex. : aspergillus) ainsi que par certains enzymes contenus dans des détergents (ex. : les subtilisines).

9.2.6 La toxicité cardiovasculaire

Ce sont les effets sur le cœur et les vaisseaux sanguins. L’exposition aiguë à des doses élevées de certains fréons, comme le fréon 113, peut provoquer des troubles du rythme cardiaque, tels qu’un ralentissement des battements du cœur (bradycardie).