Répertoire toxicologiqueAsthme professionnelInformation médicaleLatence8-Syndrome d'irritation bronchique
Les conséquences respiratoires de l'exposition à des agents irritants à haute concentration n'ont initialement été examinées qu'à l'étage du parenchyme pulmonaire. C'était le cas de l'exposition aux gaz toxiques utilisés lors de la Première Guerre mondiale ou en cause lors d'accidents environnementaux comme celui de Bhopal. Or, chez les survivants de l'oédème pulmonaire que peut entraîner une exposition irritante ou dans des cas où, apparemment, il n'y a pas d'atteinte parenchymateuse, on remarque souvent une atteinte à l'étage bronchique. Härkonen et ses collaborateurs ont été les premiers à décrire la persistance d'hyperréactivité bronchique chez les individus atteints (48), avant que des auteurs américains proposent, en 1985, l'expression «Reactive Airways Dysfunction syndrome (RADS)» pour décrire cette entité (49). Ces auteurs ont voulu limiter la définition de ce syndrome à un état symptomatique d'asthme ayant comme caractéristique essentielle la persistance d'un état d'hyperréactivité bronchique durant au moins 3 mois après un accident inhalatoire unique. Le syndrome d'irritation bronchique peut être défini comme un type d'AP (dans le cas où l'accident inhalatoire survient dans les lieux de travail) causé par l'inhalation d'une substance aux propriétés irritantes générée à haute concentration. Nous en faisons une revue générale dans un article récent (50). Chez certains travailleurs, ces événements inhalatoires peuvent être répétitifs (51, 52).
La prévalence du SIB est peu connue. Tarlo et ses collaborateurs ont estimé que 15% des cas d'AP répertoriés dans la province de l'Ontario, au Canada, entre 1978 et 1987, étaient des cas de SIB (53). Des statistiques américaines font état de 60 000 accidents inhalatoires par année à la maison, au travail ou dans la communauté (54).
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La plupart du temps, le diagnostic de SIB est rétrospectif. L'apparition des symptômes est brutale chez des sujets sans antécédents respiratoires. Les sujets se plaignent généralement de brûlures de la gorge et du nez et de douleurs rétrosternales. Ils font également état d'une symptomatologie respiratoire (toux et dyspnée) et présentent fréquemment des sifflements intrathoraciques. Ces symptômes peuvent survenir immédiatement après l'exposition ou mettre quelques heures à apparaître (49). Si dans certains cas ces symptômes peuvent s'amender au cours des mois suivants (52, 55), on note fréquemment l'apparition d'un asthme persistant (49, 56, 57). Les facteurs prédictifs de cette évolution ne sont pas connus. L'intensité de l'exposition et le type d'agent semblent jouer un rôle dans la persistance des symptômes (58).
Un syndrome obstructif peut-être mis en évidence après une exposition aiguë à un agent irritant (49, 56, 59). L'existence d'une hyperréactivité bronchique non spécifique est un des critères majeurs décrit par Brooks (49). Une hyperréactivité bronchique non spécifique isolée est beaucoup plus fréquente que l'obstruction bronchique et persiste souvent plusieurs années après l'exposition initiale (49, 57). Bhérer et collaborateurs (59) ont étudié l'évolution clinique et fonctionnelle de sujets présentant une symptomatologie respiratoire consécutivement à une exposition au chlore. Vingt-neuf des 51 sujets (57%) ayant passé un test à la méthacholine 18 à 24 mois après les accidents inhalatoires présentaient une hyperréactivité bronchique non spécifique. Les mêmes auteurs (60) ont exploré, 30 à 36 mois après l'exposition aiguë, 20 des 29 sujets qui avaient une hyperréactivité bronchique au moment du premier suivi; cinq sujets avaient normalisé leur réactivité bronchique non spécifique.
Bien que le SIB soit un syndrome de nature asthmatique, il ne partage pas toutes les caractéristiques de l'AP avec période de latence décrit précédemment. Gautrin et collaborateurs (57) ont comparé la réversibilité du syndrome obstructif de 15 sujets atteints d'un SIB à celle de 30 sujets atteints d'un AP avec période de latence. Le pourcentage d'augmentation de VEMS après administration de salbutamol était de 10 ± 9% dans le SIB contre 19 ± 16% chez les sujets porteurs d'un AP avec période de latence. Néanmoins, 7 des 15 sujets atteints du SIB avaient une réversibilité du VEMS qui était >= 15%. Cette moins grande réversibilité pourrait être reliée à la fibrose sous-épithéliale et sous-muqueuse présente en plus grande quantité dans le SIB que dans l'asthme (voir ci-après).
Quelques auteurs ont décrit les caractéristiques anatomo-pathologiques chroniques du SIB. Tous retiennent une desquamation de l'épithélium bronchique avec métaplasie épidermoïde et un épaississement de type réticulo-conjonctif de la paroi bronchique (49, 56, 60). Il existe aussi un infiltrat de cellules inflammatoires, principalement de lymphocytes et de neutrophiles, mais aussi des éosinophiles (52). Nous avons examiné (62, 64) des biopsies bronchiques de sujets présentant un SIB précocement et de façon répétée après une exposition. Nous avons observé des résultats similaires à ceux rapportés antérieurement: desquamation de l'épithélium bronchique, infiltrat inflammatoire composé de cellules mononuclées, épaississement de la membrane basale. L'évolution de ces lésions pathologiques suggère que les lésions de SIB pourraient, dans certains cas, être complètement réversibles.
La physiopathologie du SIB ne saurait être, à ce stade, qu'hypothétique (65). La lésion majeure initiale dans le SIB concerne l'épithélium bronchique qui peut synthétiser et sécréter de nombreux médiateurs pro-inflammatoires spontanément ou après stimulation: GM-CSF, TNF-alpha, IL-8 et RANTES. Par ailleurs, les lésions de l'épithélium bronchique entraînent, entre autres, une perte de l'activité ciliaire, une diminution de l'activité de l'endopeptidase neutre et une diminution d'activité du facteur relaxant dérivant de l'épithélium. Les lésions des cellules épithéliales bronchiques entraînent un relargage de médiateurs de l'inflammation provoquant l'activation du système non adrénergique non cholinergique causant une relâche accrue de tachykinines et de neurokinines. Il apparaît aussi assez précocement un dépôt collagénique sous la membrane basale ainsi que dans la paroi bronchique, ce qui suppose la stimulation de médiateurs pro-collagéniques.
Nous avons récemment développé un modèle animal de SIB en exposant des rats Sprague-Dawley à 1500 ppm de chlore durant cinq minutes (66). La résistance pulmonaire a augmenté significativement du jour 1 au jour 3, atteignant un changement maximum correspondant à 110,1 ± 15,5% de la valeur de base. Nous avons documenté une augmentation de la réactivité bronchique non spécifique. L'évaluation morphométrique a révélé un aplatissement épithélial, de la nécrose, une augmentation de la masse du muscle lisse bronchique, et de la régénération épithéliale. Le lavage bronchoalvéolaire a montré une augmentation des neutrophiles. Le moment des changements maximaux de l'épithélium (jours 1 à 3) correspondait au moment des changements fonctionnels maximaux. Plus récemment, nous avons évalué avec ce même modèle animal l'effet des stéroïdes (67). L'administration de dexaméthasone a diminué significativement l'augmentation de la résistance pulmonaire et la réactivité à la méthacholine et atténué l'augmentation des neutrophiles.
Des cas de SIB sont régulièrement rapportés dans la littérature et on y mentionne de nouveaux agents responsables. Tout agent qui a des propriétés irritantes peut causer le SIB.
Il n'existe pas encore, à l'heure actuelle, de traitement de référence pour le SIB. Si la corticothérapie inhalée a fait depuis de longues années les preuves de son efficacité dans le traitement de l'asthme, nous ne savons pas si l'administration de stéroïdes oraux ou inhalés modifie l'évolution du SIB. L'expérience actuelle n'est en effet basée que sur des cas cliniques (62, 68). Seules des études prospectives randomisées utilisant les stéroïdes inhalés par comparaison avec un placebo pourront préciser l'efficacité des stéroïdes inhalés dans le SIB et pourront déterminer les doses et la durée optimales de traitement après une exposition aiguë à un agent irritant.
Il n'est pas aisé de déterminer l'incidence du SIB à la suite d'expositions accidentelles, que la population cible soit la population générale (69) ou encore qu'il s'agisse d'une population de travailleurs (58). Dans des populations de travailleurs, l'hyperréactivité bronchique n'a été objectivée qu'auprès de sujets consentant au test de provocation bronchique (58), ou auprès de travailleurs susceptibles de développer le SIB, mais non auprès de l'ensemble des travailleurs (59). En Grande Bretagne, le programme SWORD montre qu'entre 1990 et 1994, 1180 inhalations accidentelles ont été signalées, ce qui représentait 10% des maladies respiratoires signalées et correspondait au cinquième rang pour la fréquence (70).
Des travaux ont été menés auprès de travailleurs subissant des expositions chroniques à faible concentration d'agents irritants, reconnus comme étant responsables du SIB, et ayant pu subir une ou plusieurs expositions accidentelles massives aux agents irritants, en particulier dans des usines de pâte à papier (71, 74). La prévalence de sifflements respiratoires et d'absentéisme dus à une condition respiratoire apparaît comme étant significativement plus élevée chez ces travailleurs et des anomalies fonctionnelles respiratoires sont présentes. Gautrin et ses collègues ont étudié la fonction respiratoire et le degré de réactivité bronchique chez 239 travailleurs ayant pour la plupart été exposés à des émanations chlorées accidentelles. Autant les données transversales (75) que longitudinales (76) montrent une atteinte fonctionnelle en termes d'atteinte du calibre et de la réactivité bronchiques qui est associée à des visites aux unités de premiers soins à la suite d'accidents inhalatoires et au nombre d'événements remémorés d'inhalation de chlore.
Les facteurs de risque sont inconnus. Le degré de réactivité bronchique de base ne semble pas en cause (77). Récemment, Brooks et collaborateurs ont publié des résultats qui suggèrent que les sujets atopiques étaient prédisposés à développer un SIB (78). Finalement, selon une hypothèse proposée par Kipen (79), de fréquentes expositions à de faibles concentrations d'un agent irritant entraîneraient des lésions au niveau de la muqueuse bronchique et, la survenue d'une fuite accidentelle du même agent irritant à haute concentration serait plus susceptible d'induire un asthme.
Le SIB est un modèle intéressant d'asthme de l'humain. Il est bon de noter que des infections virales ou l'exposition à des agents irritants peuvent, au même titre que l'exposition à des agents sensibilisants, induire un syndrome asthmatiforme.