Répertoire toxicologiqueRisque chimique et pour la sécuritéCombustion spontanée
Un entrepôt contenant du houblon en balles se met à dégager de la fumée; on réussit à sortir les balles avant que le feu éclate et on s'aperçoit que ce sont les balles qui étaient au milieu de la pile qui ont chauffé.
Photo reproduite avec la permission de Yakima, WA Fire Dept
Que s'est-il passé? La conclusion du service des incendies : auto-échauffement qui aurait pu provoquer de la combustion dite « spontanée » si on n'était pas intervenu aussi rapidement. Plusieurs types de matières, de natures très diverses, sont susceptibles de s'auto-échauffer. En général, il s'agit de matières poreuses ou granulaires qu'on trouve dans des secteurs d'activité très diversifiés allant, par exemple, de l'agriculture au recyclage, en passant par la buanderie, la peinture ou le transport. Dans le Système général harmonisé de classification et d'étiquetage des produits chimiques, ou SGH1, ces matières sont dites « auto-échauffantes ». Il existe deux types principaux de réactions produisant de la chaleur à l'intérieur de matières poreuses ou granulaires : les réactions d'oxydation et les réactions de fermentation.
Avant qu'une matière en arrive au stade de la combustion spontanée, les trois composantes du « triangle du feu » doivent être réunies.
Étapes menant à la combustion spontanée*
Les matières susceptibles de combustion spontanée peuvent être classées selon leur propension à déclencher le phénomène.
Les huiles ne présentent pas en elles-mêmes un danger d'auto-échauffement. Elles doivent absolument être dispersées sur un milieu poreux ou granulaire pour remplir au moins une des conditions nécessaires à l'auto-échauffement. Elles n'ont aucune propension à la combustion spontanée lorsqu'elles sont transportées ou entreposées dans un contenant approprié.
Dans le cas des matières solides, de petites quantités ne présentent généralement qu'un danger minime. De grandes quantités de matière en amas ou en piles de grandes dimensions risquent davantage de s'auto-échauffer. Et comme l'auto-échauffement, s'il se produit, se produira presque toujours au centre de la pile ou de l'amas, il risque de ne pas être détectable ou visible pendant de longues périodes.
Exemple I : Des chiffons, imbibés d'huile ont été déposés dans un seau ou dans un baril ouvert. L'huile se trouve sur un matériau poreux, en l'occurrence les chiffons. Elle est donc dispersée sur une grande surface et en contact avec l'air. Le chiffon huileux est le carburant du triangle du feu.
Tous les éléments nécessaires sont réunis :
Certaines études ont montré que, dans certaines conditions, des chiffons imbibés d'huile – en particulier de l'huile de lin – entreposés dans un baril, peuvent, sans source d'ignition externe, s'enflammer en moins de 10 heures11.
Exemple II : Les filtres pour cabines de peinture dans lesquelles on utilise des peintures dont la concentration en composés organiques volatils est assez élevée (de l'ordre de 50 % ou plus) peuvent prendre feu lorsqu'ils sont empilés dans des conteneurs à rebuts.
Une étude a été menée pour tenter de discerner les principaux facteurs à l'origine du phénomène de combustion spontanée6.
Exemple III : Le foin, par exemple, doit avoir un contenu initial en eau d'au moins 22 % pour présenter des risques de combustion spontanée lorsqu'il est empilé ou entreposé. S'il est vrai que les matières sèches brûlent plus facilement, la paille très sèche brûle très facilement si on y met le feu, elles ne produisent pas elles-mêmes de la chaleur par suite de réactions de fermentation, puisque les microorganismes ne peuvent s'y développer facilement. La combustion spontanée résultant de réactions de fermentation requiert les mêmes conditions pour se produire que celle qui résulte d'autres types de réactions.
Il faut avant tout vérifier si :
Puisque le phénomène est lié soit à l'oxydation, soit à la fermentation, il touche autant certains produits ou résidus alimentaires que certains produits plus « chimiques ». La présence de matériaux poreux ou granulaires constitue généralement une condition essentielle au processus pouvant mener à l'auto-échauffement. Si l'auto-échauffement est suffisant pour mener à l'emballement thermique, la partie « énergie » du triangle du feu risque d'être alimentée de façon continue. Si, en plus, on est en présence de grandes quantités de matières, plusieurs conditions dangereuses sont réunies et le risque peut devenir vraiment sérieux.
Note 1
Réactions d'oxydation
Dans les réactions d'oxydation, les molécules de la substance réagissent avec l'oxygène de l'air. Cette réaction est exothermique, c'est-à-dire que de la chaleur est alors dégagée. La réaction d'oxydation ne se produit qu'à la surface d'un liquide ou d'un solide, là où un contact direct s'établit entre la substance et l'oxygène de l'air. Pour les matières qui ne sont pas poreuses, le rapport entre la surface et le volume étant très faible, cette réaction d'oxydation est très limitée et, par conséquent, la quantité de chaleur dégagée est aussi très limitée.
Un exemple bien connu de réaction d'oxydation est celui de la rouille qui se forme à la surface d'une pièce métallique : la réaction est lente et elle se produit uniquement à la surface. De plus, la chaleur produite est facilement dissipée puisque la surface est en contact avec l'air ambiant.
Dans le cas de matières poreuses ou granulaires, le rapport entre la surface et le volume peut devenir très important. De cette manière, la réaction entre l'oxygène de l'air et la substance peut devenir très forte et produire une quantité importante de chaleur.
Le titane ou le zirconium sont des métaux souvent produits sous forme de lingots. Le lingot ne présente qu'une petite surface en contact avec l'air et il se ternit lentement par suite de l'oxydation en surface. Le même lingot, réduit en poudre, devient pyrophorique, c'est-à-dire qu'il peut prendre feu spontanément si la poudre est en contact avec l'air pendant un court instant (moins de 5 minutes). ▲
Note 2
Réactions de fermentation
Les réactions de fermentation peuvent aussi produire beaucoup de chaleur. Des microorganismes (bactéries, levures, etc.) transforment une matière première (ou substrat) en produits différents, comme dans le cas de la bière, du vin, du fromage, etc. Lorsque des réactions de fermentation surviennent à l'intérieur de grandes masses de produits poreux ou granulaires (comme le grain ou la paille, par exemple), il est possible que la chaleur produite mène à l'emballement thermique.
Bien que les réactions de fermentation soient bien connues pour produire de la chaleur, les microorganismes responsables des réactions de fermentation ne peuvent généralement pas survivre à des températures supérieures à 70 °C- 80 °C. Les réactions de fermentation peuvent difficilement mener à l'emballement thermique, puisqu'elles stoppent d'elles-mêmes (en raison de la mort des microorganismes responsables de la fermentation) lorsque la température atteint les 70 °C- 80 °C. Il faut donc que des réactions d'oxydation « prennent la relève », à la suite de l'auto-échauffement par les microorganismes, pour mener à l'emballement thermique.
Les microorganismes ont habituellement besoin d'eau pour vivre et se développer et c'est pourquoi plusieurs matières agricoles ou alimentaires présentent plus de risques d'auto-échauffement lorsque leur contenu en humidité est élevé. ▲
Note 3
Auto-échauffement : réaction exothermique dans un matériau, entraînant une élévation de température dans celui-ci. ▲
Note 4
Emballement thermique : phénomène qui se produit lorsque la chaleur dégagée par une réaction n'est pas dissipée rapidement. La température monte et la réaction s'accélère. Le processus se termine par l'arrêt de la réaction si tous les réactifs sont consommés ou par le passage à un autre type de réaction, qui peut être la combustion ou l'explosion.
De l'auto-échauffement à l'emballement thermique
Lorsqu'une quantité significative de chaleur est produite, elle cause localement une augmentation de la température si les conditions sont telles que la chaleur ne peut se dissiper assez rapidement. C'est le cas lorsque de grandes quantités de matières oxydables ou fermentables sont empilées ou lorsque des quantités plus petites de ces matières sont confinées dans un espace restreint. Par grandes quantités, on entend, par exemple, une très haute pile de foin ou un grand amas de résidus de poisson produit par une usine de transformation du poisson. Par petites quantités, on suppose, par exemple, quelques chiffons imbibés d'huile déposés dans un baril. Dans un cas comme dans l'autre, si la chaleur dégagée par les réactions d'oxydation ou de fermentation ne peut pas être dissipée aussi rapidement qu'elle est produite, la température augmentera à l'endroit où la chaleur est produite. Dans certains cas, cette augmentation de la température accélérera la réaction même qui produit de la chaleur, augmentant du coup la chaleur produite. On est alors en situation d'emballement thermique. L'emballement thermique conduit à une augmentation rapide et importante de la température à un endroit donné, généralement au centre de la pile ou de l'amas. ▲
Note 5
Feu couvant : feu sans flammes visibles (braises ou briquettes de charbon).
Naissance d'un feu couvant
Par suite de l'emballement thermique, si la température atteint la température d'auto-ignition de la substance, un feu couvant peut se déclencher. Cependant, les flammes ne peuvent généralement pas naître à l'intérieur d'un matériau poreux parce que :
la taille des pores est trop petite : les flammes sont ainsi étouffées parce qu'elles sont coincées à l'intérieur de la distance d'auto-extinction (pour qu'une flamme puisse naître et être soutenue, elle a besoin d'un minimum d'espace « vital » ; c'est ce qu'on appelle la distance d'autoextinction);
la concentration en oxygène au milieu de l'amoncellement est trop faible pour soutenir une flamme;
la vitesse de déplacement des gaz inflammables produits par le feu couvant (gaz de pyrolyse), à l'intérieur des pores du matériau, est trop faible pour soutenir la flamme. ▲
Note 6
Inflammation : résultat de l'action par laquelle une matière combustible s'enflamme.
Le feu couvant peut s'enflammer s'il parvient à la surface de la pile, à l'air libre. Rendue à la surface, la flamme peut alors se développer de manière soutenue. Plus rarement, le feu couvant peut s'enflammer à l'intérieur d'une pile, s'il y existe une ou des cavités assez grandes pour que les flammes puissent naître et être soutenues. ▲
Note 7
Le risque existe partout où des tissus, des linges ou des chiffons sont utilisés et qu'ils peuvent être en contact avec de l'huile, de la peinture ou d'autres substances susceptibles de s'auto-échauffer. Les secteurs visés sont, notamment, ceux de l'ébénisterie, de l'imprimerie, de l'automobile, des textiles, du recyclage, de la peinture et de l'alimentation. Cependant, même des piles de serviettes fraîchement sorties de sécheuses industrielles (donc encore assez chaudes) et empilées dans d'immenses bacs peuvent surchauffer au point de déclencher un incendie. Il est possible que les serviettes, bien que lavées, puissent encore contenir une certaine quantité d'huile ou d'autres corps gras, et que ces derniers réagissent avec l'oxygène de l'air. La réaction d'oxydation, produisant une chaleur supplémentaire, amènerait le centre de ces piles, déjà chaudes, à une température suffisante pour faire naître un feu couvant. ▲
Note 8
Plusieurs types de filtres (papier, fibre de verre, polyester, polystyrène, mélange de papier et de fibre de verre), la charge de peinture portée par les filtres au moment de l'entreposage et la densité d'empilement des filtres dans le conteneur ont été examinés. Le facteur le plus critique est la densité d'empilement des filtres dans le conteneur. Lorsque les filtres sont empilés de manière très serrée, il se produit un effet d'isolation thermique et la chaleur produite par la réaction d'oxydation des résidus de peinture ne peut pas être dissipée assez rapidement pour empêcher la température de monter. L'emballement thermique suit, menant à l'auto-ignition. ▲
* Photos des étapes de la combustion spontanée utilisées avec la permission de l'auteur, Rob Bicevskis. ▲
Version du 21 janvier 2008.
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